20 octobre 2019

Isaure . Play Dead


PlAy DeAd

Ne va pas croire que mes employeurs m’avaient informée, ni que le bruit s’était ébruité. Non, le personnel était restreint, discipliné et surtout fidèle. La mort de la précédente nurse me fut révélée par la main de la meurtrière elle-même. L’étrange jeune fille aimait dessiner, bien que ses traits fussent trop nerveux et appuyés. Ses feuilles rayées et colorées gisaient éparses sur le sol. J’avais soin de les ordonner pour les remettre à sa mère (je ne sus jamais ce qu’elle en faisait), et puisqu’on ne me l’avait pas défendu, je les regardais. L'ancienne nurse y était représentée, reconnaissable avec l’uniforme semblable au mien, sans compter la mention de son nom, écrit maladroitement en haut de feuille. Son portrait était défiguré d’un crayon en travers l’œil. Lorsque j’osais interroger « l’artiste », elle me répondit sur un ton très bas, presque un murmure : « elle l’avait cherché… »


Un frisson me parcourut, je m’en souviens parfaitement. Et je prêtais depuis lors une attention redoublée à ses nombreux dessins. Parmi, se trouvait des portraits semblables. Écorchés, éborgnés, altérés. Et bien que mon instinct me signalât le danger, je continuais de jouer mon rôle de gardienne, extérieurement sereine, mais profondément bouleversée dans mon âme et conscience. Car jamais, avant aujourd’hui, je ne parlais de ce que je soupçonnais. Et quand je fus libérée de mon service en sus de l’ensemble du personnel, quand mes employeurs déménagèrent sans laisser d’adresse, jamais je n’eus d’autre certitude que ceux-ci cherchaient seulement à protéger leur fille.

C’était il y a plus de soixante ans… mais tu es là, et tu témoignes de sa présence dans la nurserie, de son chant étrange dans la nuit, de ses pas tonitruants dans les escaliers. Alors oui, je pense qu’on l’a laissée là, seule, enfermée dans cette maison depuis soixante ans, abandonnée à ses crises et à son sort.


“I belong to here
Where no one cares
And no one loves
No light, no air to live in
A place called hate
(…) I play dead
It stops the hurting...


I play dead
And the hurting stops”
Björk - Play Dead

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