12 mars 2021

Ai-Zan . New Orleans Memories


Ai-Zan
L'incendie / La fugitive


Les dalles fument sous le soleil, de vapeurs d’alcool de la veille, qui se diffusent dans la rue. L’humidité harassante ne plombe pas encore l’atmosphère de la ville qui tarde à s’éveiller. Alors qu’elle se relève de son abri de fortune, les membres tout endoloris, la jeune fille scrute les environs avant de presser le pas hors de la cage d'escalier, il ne fait pas bon s’attarder quand on est une fugitive. Jusqu’ici, elle est restée en périphérie du carré et du cimetière St-Louis, mais elle va devoir s’aventurer dans les rues commerçantes,…tant qu’elle évite les abords du fleuve. Voilà bien deux semaines qu’elle se cache, elle n’a pas eu le choix. Toutes les cultures, les baraquements, le jardin, la demeure aux grands halls, les flammes s’étaient propulsées partout et il s’en était fallu d’un cheveu qu’elle y succombe. Si les flammes l’avaient épargnée, elle se savait condamnée. Oh non, ce n'était pas elle qui avait provoqué l'incendie, et même si sa fuite la désignait coupable, elle n'avait pas eu le choix. Les tensions étaient telles depuis des mois, que si le contremaître ne l'avait pas saignée à coup de fouet, ce sont les « siens » qui l'auraient achevée à coup de pierre. Sa mère l'avait ainsi condamnée. Fruit d'une liaison illicite, fille d'esclave et du maître blanc de la plantation, une mulâtresse, qui était méprisée par les uns, conspuée par les autres. Elle n'avait sa place nulle part. Sa mère, esclave depuis deux générations, avait quitté Saint-Domingue en 1812 avec la famille du maître, fuyant la révolution pour s'installer dans une plantation non loin de la Nouvelle-Orléans. Un champs de canne à sucre pour un autre. Elle avait mis sa fille au monde, seule, dans le fond d'un baraquement. Et sans doute l'avait-elle aimée, avant de succomber de la dysenterie l'année de ses 3 ans. La petite fille avait perdu son rempart de bonté et elle avait trimé dur, chaque jour. Jusqu'à l'incendie. Comme les grands feux de joie de Noël, l'incendie avait fait surgir l'espoir, un espoir fou d'une autre vie qui l'attendait, si elle fuyait celle-ci. Ai-zan s'accrochait à cette funeste étincelle d'espoir qui était née dans les cendres sales ; elle ignorait encore ce que ça allait lui coûter d'être une fugitive.


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